L’omniprésence de l’intelligence artificielle dans notre vie professionnelle est un constat qui ne date plus d’hier. Tout le monde en parle, beaucoup l’utilise, et voilà que chacun devient rédacteur sans avoir jamais touché à un fichier Word. Je provoque car je peste et je rage. Mais que vont devenir celles et ceux qui mettent leur cerveau à contribution chaque jour pour produire un travail soigné et structuré, si ChatGPT propose, corrige, adapte et rédige, en moins d’une minute ? Des êtres humains, rien de plus, tout au moins.
Le jour où j’ai essayé Chat GPT, ma première réaction fut « Wow ! Incroyable ! ». Alors, je me suis amusée à multiplier mes requêtes, en mélangeant les auteurs, les tonalités et les styles. De ma souris, de mon clavier et de mes idées, j’ai défié l’Intelligence Artificielle. Et j’ai pris plaisir à confronter les sujets, demandant par exemple une citation mêlant la pensée de Nietzsche au mouvement féministe des années 50, sur un ton poétique à la Verlaine, avec une touche publicitaire. Le résultat était surprenant et l’IA m’envoyait un souffle d’humanité. Voici sa réponse :
« Dans le tourbillon des pensées, Nietzsche susurrait l’éveil, tandis que les années 50 tressaillaient de féminisme, tel un élan nouveau. Comme l’écume des vagues, la force féminine s’est levée, mélangeant les âmes, créant une harmonie vibrante. Plongez dans cette révolution intérieure, embrassez l’audace de l’individualité, et dansez dans la lumière du changement. Osez vivre sans entraves, car la vie est la plus grande aventure. Rejoignez le mouvement, où chaque âme est une étoile, et chaque étoile brille d’une lumière unique. Libérez-vous, embrassez l’éclat de la différence. Vous êtes le futur que vous attendiez. » #LibertéÉgale
Mince alors, il est hyper bon, nous sommes morts ! Voilà notre avenir : finis les écrivains, les philosophes, les rédacteurs, les concepteurs, et tous les autres métiers qui nécessitent un peu de savoir, de créativité et d’écriture. Je pense également aux juristes, aux avocats, aux journalistes, aux enseignants, car finalement, tout le monde est concerné par cette avancée qui pourrait potentiellement nous nuire. Pourvu que les politiciens ne recourent pas à l’IA ! Nous sommes en train de devenir une société d’assistés. Hum. Et puis, j’ai pris conscience des limites de l’algorithme qui use et abuse d’emojis, de répétitions et d’excès d’adjectifs qualificatifs, quand mon événement local se transformait alors en événement extraordinaire à ne manquer sous aucun prétexte ! Non, c’est trop ! J’étais tout à fait dépitée de voir éclore tout un tas de publications similaires, sans âme ni particularité.
Alors, j’ai pris du recul, rageant et boudant silencieusement, réfléchissant déjà à une réorientation professionnelle. Oui ! Mon côté « old school » prenait le pas sur ma raison lorsque je me suis mis à penser à l’outil indispensable du quotidien qui a su faciliter la vie de millions de personnes dans le monde : la machine à laver. Comment ferions-nous aujourd’hui si nous devions, chaque samedi, nous rendre au lavoir pour faire notre lessive ? Honnêtement, je ne me vois pas du tout frapper et rincer mon Levi’s®, et j’admirais de loin mon adorable aspirateur robot qui s’acquittait de sa tâche sans jamais se plaindre de rien, allégeant grandement ma charge mentale. C’est donc grâce à lui que j’ai de nouveau remercié le progrès. Mais Chat GPT, tu ne m’auras pas ! En tous cas, pas complètement…
Je pense qu’il convient d’utiliser l’intelligence artificielle avec parcimonie et discernement, et de ne pas se laisser aller à la flemmingite aiguë pour éviter de devenir le minimum que nous pourrions être. Je ne cesse de répéter à mon fils (qui fait totalement partie de cette génération IA) qu’il faut d’abord exprimer et construire son texte à voix haute avant de l’écrire, qu’il faut faire tomber les mots comme on secoue un arbre, mais aussi qu’il faut réfléchir au sens que l’on souhaite donner au récit, écrire, effacer, raturer, recommencer, avoir envie d’abandonner… Toute la prise de tête nécessaire qui découle en la satisfaction très personnelle d’avoir écrit un texte soi-même.
« Mais lâchez Chat GPT ! », ai-je envie de crier. Oui, mais non, il va malheureusement falloir composer avec. Et j’attends avec impatience l’arrivée d’une IA capable de détecter les textes rédigés sous IA, car je refuse de croire que les grands discours de demain naîtront d’une matrice dans laquelle nous sommes tous en train de plonger.